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ACCRO AUX BENZOS

Châtelaine Magazine
Québec, Canada
April 2004
Par Chantal Éthier

Saviez-vous que des médicaments comme l’Ativan, le Valium ou le Serax pourraient vous rendre dépendante ?

Le jour où son médecin lui a prescrit de l’Ativan (un médicament de la famille des benzodiazépines) pour des douleurs musculaires – sportive, elle avait un peu forcé sur l’entraînement en ski nautique –, Kim était loin d’imaginer qu’elle allait vivre un cauchemar. C’était en septembre 1999, elle avait 30 ans et jouissait d’une bonne santé. Patiente docile, elle a pris ses comprimés sans poser de questions.

Quelques semaines plus tard, la jeune femme a commencé à souffrir de problèmes d’estomac et à se sentir anxieuse, déprimée. « Je n’avais jamais éprouvé de tels symptômes », raconte-t-elle. On lui a fait passer une batterie de tests qui ne révélèrent rien, mais sa dépression empirait, son anxiété aussi. Chaque nouveau médecin qu’elle consultait dans l’espoir de trouver la cause de ses malaises augmentait ses doses.

Sept mois plus tard, désespérée, Kim a fini par consulter une naturopathe. « C’est elle qui m’a appris que l’Ativan était prescrit contre l’anxiété ! explique-t-elle, encore abasourdie. Jamais mon médecin ne me l’avait dit et jamais non plus il ne m’avait prévenue que ce médicament pouvait provoquer des effets secondaires (dont l’anxiété) ou entraîner une dépendance ! »

Qui n’a jamais pris un comprimé d’Ativan ou de Valium pour arriver à dormir ? Tout comme le Serax, le Mogadon, l’Halcion, le Restoril, le Xanax ou le Dalmane, ce sont des benzodiazépines, une famille de médicaments très souvent prescrits contre l’insomnie, l’anxiété, certaines phobies et même les spasmes musculaires. Ce sont les psychotropes – on les appelle ainsi parce qu’ils agissent sur le psychisme des individus – les plus prescrits au Québec et dans le monde. En 2003, les pharmaciens détaillants ont exécuté 4,9 millions d’ordonnances de benzodiazépines au Québec seulement. C’est sans compter les doses qui sont données aux patients dans les hôpitaux et les centres de soins de longue durée !

Dur, le sevrage

Et pourtant, ces médicaments ne sont pas inoffensifs. Consommés de façon régulière, ils peuvent entraîner des troubles de l’équilibre, des vertiges, des palpitations, des problèmes gastriques... et paradoxalement provoquer de la dépression, de l’anxiété et de l’insomnie ! Kim faisait partie des patients fortement touchés par ces effets secondaires.

Saviez-vous que les benzodiazépines peuvent aussi provoquer une dépendance physique en quatre à six semaines ? Résultat : le jour où l’on cesse leur utilisation, l’organisme réagit en produisant des symptômes de sevrage semblables aux problèmes qu’on voulait traiter au départ. L’insomnie, l’anxiété ou la nervosité réapparaissent et sont même plus aigus qu’avant le traitement. Du moins pour un temps. Certains patients ressentent un cortège d’autres malaises : cauchemars, crampes musculaires, troubles gastro-intestinaux... la liste est longue, surtout si on cesse abruptement de prendre ces médicaments.

Lorsque Kim a découvert que l’Ativan était la source de ses problèmes, elle n’était pas pour autant au bout de ses peines. « Non seulement mon organisme le tolérait mal mais, à cause des doses importantes que les médecins m’avaient prescrites, j’ai souffert ensuite du sevrage. Je me sentais si mal que j’ai dû retourner vivre chez mes parents. Quatre ans plus tard, je suis enfin redevenue la personne que j’étais. »

Pour mettre fin aux symptômes de sevrage, certains patients sont tentés de reprendre leurs comprimés. Or, cela ne fait que remettre le problème à plus tard car plus on emploie ces médicaments sur une longue période, plus les symptômes de sevrage sont intenses et plus ils durent longtemps.

Une des histoires les plus retentissantes de dépendance aux benzodiazépines est celle de la Canadienne Joan Gadsby, à qui on avait prescrit un cocktail de Valium, de Dalmane et de Serax après la mort de son fils de quatre ans. Pendant les 23 années au cours desquelles elle a pris ces médicaments, sa vie s’est déroulée dans un brouillard. Pourtant, elle a continué son travail de gestionnaire pour de grandes entreprises sans que ses employeurs se doutent de rien. Un jour, à la suite d’une surdose, une vraie, elle décide de tout arrêter. « En prenant cette décision, je croyais que le pire était derrière moi, raconte-t-elle dans son livre Addiction by Prescription. Je me trompais. » Incapable de manger et de dormir, aux prises avec des accès de paranoïa, des hallucinations et des idées suicidaires, elle revivait aussi de douloureux souvenirs de la mort de son fils.

L’histoire de Joan Gadsby est celle d’un cas extrême. Quand elle a commencé à prendre des benzodiazépines, il y a 30 ans, on en connaissait encore mal les méfaits. Ils représentaient une solution de rechange aux barbituriques, qui, en surdose, pouvaient causer la mort.

Prescription... à vie !

Pourtant, prendre du Valium ou de l’Ativan pour quelques jours n’est pas la fin du monde. Cela peut même être utile pendant un court laps de temps. Le problème, c’est que ces médicaments sont encore prescrits à long terme.

En 1982, Santé Canada recommandait de les prescrire pour une période allant de deux à quatre semaines seulement. Cela n’a pas empêché Madelon, qui souffrait d’un grave problème d’anxiété, de se les faire prescrire à vie, d’abord en Europe, puis en Colombie-Britannique. « Mon psychiatre n’a jamais pris le temps de discuter avec moi, confie-t-elle. Il m’a donné ces comprimés en me disant que je souffrais d’une grave névrose. Quand je lui ai demandé des explications, il m’a répondu qu’il était là pour me soigner et non pour me donner un cours de psychiatrie ! »

En 1997, à la suite d’abus dénoncés par la Régie de l’assurance maladie du Québec, le Collège des médecins émettait des directives concernant les ordonnances de benzodiazépines pour une durée prolongée. Les médecins peuvent les prescrire pour plus de trois mois pour soigner un état de panique, des états psychotiques, des troubles bipolaires... et de l’anxiété généralisée. Ces balises sont-elles suffisantes ? « Nous surveillons les médecins de plus près et les doses prescrites sont beaucoup moins importantes qu’auparavant », répond le docteur André Jacques, directeur de l’amélioration de l’exercice de la médecine.

Les femmes plus vulnérables

On sait aujourd’hui qu’après un délai de quatre semaines l’effet des benzodiazépines diminue, alors que les risques d’en devenir dépendant augmentent. Et, selon la Food and Drug Administration (FDA), leur efficacité n’a jamais été démontrée au-delà de quatre mois d’utilisation. « Pourtant, 10 % de la population canadienne fait un usage prolongé de ces médicaments ! » affirme Mohamed Ben Amar, professeur de pharmacie à l’Université de Montréal et auteur d’un livre sur les psychotropes.

Les études démontrent que deux fois plus de femmes que d’hommes prennent des benzodiazépines et que, lorsque ces substances sont prescrites aux femmes, elles le sont pour une période plus longue.

Et si des médecins prescrivent les benzodiazépines pour trop longtemps, il y a aussi des patients qui en veulent toujours davantage ! La docteure Marie-Claude Rioux, qui exerce la médecine familiale au CLSC du Plateau-Mont-Royal, voit tous les jours des femmes en quête d’« un petit quelque chose » qui les fera dormir. « Auparavant, c’étaient surtout des femmes âgées, dit-elle, mais, depuis une dizaine d’années, non seulement plus de gens réclament des somnifères, mais ils sont aussi plus jeunes. »

Comme l’efficacité des benzodiazépines diminue après quatre semaines d’utilisation, il est tentant, pour conserver le même effet, d’augmenter la dose.

Responsable du volet thérapeutique à la Maison du Nouveau Chemin, un centre de désintoxication, Raymonde Latulipe sait comment s’installe le cycle insidieux de la dépendance : « La première dépendance est psychologique : mon Valium me permet de glisser rapidement dans le sommeil. C’est merveilleux ! Comment ne serais-je pas tentée d’en reprendre demain soir ? Puis, un après-midi, je vis un stress intense. Je pourrais peut-être prendre un comprimé pour me calmer... Me voilà donc accro à la pilule de l’après-midi. Puis, un bon jour, la pilule du soir n’agit plus. Alors, j’en prends une et demie, puis deux... »

Ces médicaments sont-ils vraiment efficaces ? Une vaste étude, menée en 2000 par l’Association médicale canadienne et l’Association pharmaceutique canadienne, a de quoi laisser perplexe : les benzodiazépines ne prolongeraient la durée du sommeil que d’une heure en moyenne. Plus étonnant encore : leur effet serait à peine plus important que celui d’un placebo ! « De plus, ils perturbent les cycles du sommeil en diminuant les stades 3 et 4 du sommeil profond, celui qui est le plus réparateur », ajoute la docteure Louise Duguay, psychiatre spécialisée en toxicomanie au CHUM. Ces médicaments sont utiles, mais sur une très courte période seulement.

« Et puis, ajoute la psychiatre, quelle est la cause de votre insomnie ? Si c’est la dépression, vous seriez mieux avec un antidépresseur. Et si c’est l’anxiété, cette réponse est valable aussi. Auparavant, nous traitions l’angoisse, les attaques de panique ou les phobies avec des benzodiazépines comme le Xanax. Aujourd’hui, nous préférons utiliser des antidépresseurs – Paxil ou Prozac. »

Entre 1998 et 2003, le nombre d’ordonnances n’en a pas moins grimpé de 17 % au Québec !

Diminuer les doses

À l’hôpital Saint-Luc, où travaille la docteure Duguay, un centre pour toxicomanes accueille des femmes qui ont développé une dépendance aux médicaments. « La plupart du temps, elles sont aussi dépendantes d’autres substances, comme la cocaïne ou l’alcool. »

La majorité des femmes accros aux benzos ne se retrouvent pas dans un état aussi grave. « Lorsqu’une de mes patientes veut renouveler son ordonnance ou augmenter la dose, je sais qu’il y a un problème », dit la docteure Rioux. La plupart des femmes qui ont développé une dépendance vont diminuer leurs doses sous la supervision de leur médecin de famille, sur une période qui peut aller de deux à huit semaines. D’autres vont être dirigées vers un psychologue ou un spécialiste en toxicomanie. Dans certains cas, plus rares, elles feront un séjour dans un hôpital ou un centre de désintoxication.

« Certaines personnes n’arrivent jamais à décrocher tout à fait, ajoute la docteure Rioux. Nous devons leur donner la plus petite dose possible pour qu’elles puissent vivre avec le minimum d’effets secondaires. »

Selon Pierre Biron, spécialiste en pharmacovigilance, la popularité des benzodiazépines tire à sa fin, car elles seront de plus en plus remplacées par les antidépresseurs. « Les brevets de ces médicaments arrivent à échéance et déjà les entreprises pharmaceutiques ont cessé de les publiciser dans les revues médicales. »

D’après le pharmacien Mohamed Ben Amar, celles-ci travaillent à des solutions de rechange avec moins d’effets indésirables.

Servirons-nous encore une fois de cobayes ?

Pas juste les tranquillisants

Il n’y a pas que les benzodiazépines qui créent une dépendance. Josée l’a appris à ses dépens. À la suite d’une opération douloureuse, son médecin lui avait prescrit du Percodan, un médicament à base de codéine. « Un de mes trois adolescents me donnait à cette époque du fil à retordre. Vols, policiers, DPJ... Lorsque je prenais mes médicaments, non seulement la douleur s’en allait, mais je ressentais aussi une sorte de “buzz” ; j’oubliais mes problèmes et je m’assoupissais... » Pendant des années, elle a vécu dans une brume cotonneuse. « Au bout d’un moment, mon médecin m’a dit que ça suffisait, que je devais arrêter. J’ai tenté de le faire à plusieurs reprises mais, au bout de 10 jours, je commençais à ressentir des tremblements, des nausées, de l’insomnie... des symptômes de manque. Alors, j’ai commencé à aller voir d’autres médecins, à m’inventer des bobos... J’étais prête à n’importe quoi pour avoir ces pilules. Je me disais que je ne faisais rien de mal. »

Josée est devenue dépendante à la codéine, un dérivé de la morphine qu’on trouve dans plusieurs analgésiques, tels le Percodan et les Ampracet. « Un jour mon mari m’a prise sur le fait et m’a mise au pied du mur. J’ai dû reconnaître que j’avais besoin d’aide. Je suis allée en thérapie à la Maison du Nouveau Chemin pendant quatre semaines.

Ça a été très dur, mais ça a changé ma vie. Mon mari m’a soutenue dans cette épreuve. Depuis, nous sommes plus proches que jamais...»


Les Benzodiazépines: Comment agissent-elles et comment s'en sevrer ? Professeure C Heather Ashton DM, FRCP, 2002.



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